Dans sa jeunesse, l'écrivain Nathaniel Hawthorne vivait à Boston, ou il avait l'abitude de fréquenter la bibliothèque de l'Atheneum. Il y rencontrait souvent dans la salle de lecture le révérent docteur Harris, clergyman âgé d'environ 80 ans, que l'on pouvait voir chaque jour vers midi lisant le Boston Post au coin du feu. Un soir, un de ses amis lui annonça que le vieillard venait de mourir. Or Hawthorne avait été à L'Artheneum ce même jour, et il y avait vu le Dr Harris assis à sa place habituelle ; il fut donc surpris, mais le fut encore plus le lendemain lorsqu'il entra dans la salle de lecture et vit le docteur lisant son journal près de la cheminée. Hawthorne resta là quelques temps à lire, jetant de temps en temps un regard sur ce personnage qui avait toute l'apparence d'un homme vivant. Et cela dura des semaines. "Finalement", raconte Hawthorne, "je ne fis pas plus attention au vénérable défunt qu'aux autres vieilles badernes somnolant sur leurs journal près du feu." Aucune autre des "vieilles badernes" vivantes ne semblait voir le revenant, bien que nombre d'entre elles aient été de bons amis du Dr Harris. Le plus étonnant, c'est que le fantôme ne se manifesta qu'à Hawthorne, qui n'avait connu Harris que de vue. Mais peut-être après tout les autres le voyaient-ils aussi, et étaient-ils aussi réticents que Hawthorne à admettre le fait.
Des années plus tard, racontant cette aventure à un ami, Hawthorne s'étonnait de sa répugnance à tenter d'éclaircir le phénomène; il aurait pu essayer de toucher du doigt le revenant, ou de lui prendre son journal si journal il y avait. "Peut-être, dit-il, hésitais-je à détruire l'illusion, à me voler une si bonne histoire de revenant, qui aurait probablement pu être expliquée d'une façon très ordinaire." A un certain moment, il s'était aperçu que le vieillard le regardait comme s'il attendait que Hawthorne lui parle. Sans doute, pensait celui-ci, avait-il quelque chose à lui communiquer. "Mais dans ce cas, le fantôme avait fait un mauvais calcul, chose fréquente dans la confrérie des esprits, pur ce qui était du lieu de l'entretien et de la personne choisie par lui comme interlocuteur. Car, dans la salle de lecture de l'Artheneum, toute conversation est interdite, et je n'aurais pu lui adresser la parole sans m'attirer aussitôt les froncements de sourcils indignés des vieux messieurs qui dormaient à moitié autour de moi...Et quel air idiot j'aurais eu de m'adresser avec solennité à ce qui, pour l'assistance, n'eût été qu'une chaise vide." "En outre", conclut Hawthorne, en se retranchant derrière les convenances mondaines, "je ne lui avais jamais été présenté."
Un beau jour, l'apparition ne se manifesta plus sur la chaise au coin du feu, et Hawthorne ne la revit jamais.
Que penser de ce récit ? Hawthorne est-il tout bonnement un romancier racontant une histoire ? Probablement pas, car il était un auteur de talent, et il aurait certainement construit autrement un récit d'imagination. Si l'histoire est une fiction, elle est assez terne. Mais si c'est une expérience psychique, elle est d'un intérêt exeptionnel. Il ne s'agit pas en effet d'une "dame en blanc" vaporeuse et transparente, aperçue un instant dans un corridor sombre par une personne impressionnable et à la vue basse. Au contraire, c'est une forme ayant l'apparence de la réalité, vue de façon continue pendant plusieures semaines par un homme qui - bien que sensible au surnaturel et attiré par lui - gardait de toute évidence l'esprit lucide. Qu'a-t-il donc vu ?
De nombreuses personnes ont une réponse toute prête : Hawthorne a vu l'esprit de feu le Dr Harris, dont l'entrée dans l'autre monde avait été retardée pour une raison quelconque, et qui était temporairement retenu à l'endroit qu'il " hantait" de son vivant.