Les fées de Cottingley

Croyez-vous aux fées ?
"Un événement historique : des fées photographiées ! " Tel était le titre d'un article publié en 1920 dans l'une des principales revues anglaises illustré avec la photo d'une fillette entourée par un groupe de petits personnages ressemblant à des fées. Un autre document montrait une seconde jeune fille contemplant une petite créature ailée semblable à un lutin. Les jeunes filles étaient France Griffiths et Elsie Wright. Elles s'étaient photographiées l'une l'autre et comme aucune des deux ne s'était jamais servi d'un appareil photo auparavant, il était peu propable que ce soit un habile truquage. L'auteur de l'article était Sir Arthur Conan Doyle (ci-dessous) , père de Sherlock Holmes, héros de célèbres histoires policières.

En quelques jours, le numéro avec les photos et l'article sur les fées de Cottingley était épuisé. La nouvelle de l'existence de ces documents fit le tour du monde et déclencha une controverse qui n'est pas éteinte aujourd'hui. Les filles semblaient sincères, les photographies aussi. Même de sceptiques enquêteurs se demandèrent si, après tout, il ne pourrait pas y avoir des fées.
Croyez-vous aux fées ? A cette question la plupart d'entre nous répondraient carrément : "Non ! " De tout les phénomènes surnaturels, les fées semblent le plus invraisemblable. L'idée est si absurde que nous usons même de l'espression "contes de fées" pour qualifier des mensonges évidents. Cependant, le créateur de Sherlock Holmes, ce maître logicien, se sentait assez sûr pour déclarer publiquement qu'il croyait aux fées. Et Conan Doyle n'était pas le seul. Lord Dowding (ci-dessous) , un des chefs de l'armée de l'air britannique pendant la Seconde Guerre mondiale et personnalité puissante s'il en fut, croyait implicitement aux fées. Il arrivait à cet homme raisonnable et plutôt sévère de montrer à ses visiteurs un livre de photos de fées et de parler d'elles avec autant de conviction que de tactique militaire. D'autres individus dignes de confiance et apparamment bien équilibrés, dont des ecclésiastiques, des professeurs et des médecins, ont soutenu que ces créatures existent - certains attestant en avoir vu. Mais ce qu'ils avaient aperçu était rarement de charmantes petites créatures avec des ailes en gaze légère, commes celles que France Griffiths et Elsie Wright avaient photographiées. C'était des êtres parfois hideux, souvent terrifiants et, à l'occasion, diaboliques.

La croyance aux fées était jadis universelle et elles étaient considérées comme une puissance redoutable avec laquelle il fallait compter. Evans Wentz, auteur de " La Croyance aux fées dans les contrées celtes " qui fait autorité en la matière, notait qu' "il semble n'y avoir jamais eu de tribu sauvage ou de race ou de nation d'hommes civilisés qui n'aient pas cru sous une forme ou une autre à un monde invisible, peuplé d'êtres invisibles." Wentz soutient que "les fées existent en réalité en tant qu'êtres ou intelligences invisibles". Considérant le monde des fées comme "un fait chimique", Wentz en venait à la conclusion que le royaume des fées est un endroit réel, existant "dans un monde invisible à l'intérieur duquel le monde visible est immergé comme une île dans un océan inexploré et qui est peuplé de plus d'espèces d'êtres vivants que notre monde, parce que imcomparablement plus vaste et présentant davantage de possibilités".
Voyons donc ce qu'il y avait sous ce titre de 1920 " Un évenement historique : des fées photographiées".
Aussi incroyable que l'histoire puisse paraître, on n'en a jamais démontré la fausseté.
Durant l'été de 1917, Frances Griffiths, jeune Sud-Africaine de 10 ans, arriva à Cottingley (ci-dessous) , petit village du Yorkshire, pour un séjour chez sa cousine Elsie Wright, âgée de 13 ans. Derrière la maison d'Elsie, il y avait un vallon solitaire, sauvage et ravissant, bordé par un torrent. Il ne tarda pas à devenir le lieu de prédilection des fillettes, qui prétendirent y rencontrer des fées et jouer avec elles. Rien d'étonnant si les parents d'Elsie ne prirent pas ces histoires au sérieux, mais à la longue, quand Elsie le supplia pour la énième fois de lui permettre de prouver qu'elle disait la vérité, Mr. Wright lui prêta son nouvel appareil de photo. Il glissa une plaque à l'intérieur, régla l'appareil et montra à Elsie comment s'en servir.

Moins d'une heure après, les fillettes étaient de retour, et, un peu plus tard, Arthur Wright développa la plaque. On y voyait sans erreur possible Frances Griffiths, le menton posé sur sa main et une troupe de fées avec des ailes de papillon folâtrant et dansant autour d'elle. (ci-dessous)

Stupéfait, mais pas encore convaincu, Mr. Wrigth prêta à nouveau aux fillettes l'appareil chargé d'une plaque. Cette fois, la photographie montrait Elsie avec une petite créature ailée en collant, maillot et bonnet pointu, prête à sauter sur elle. (ci-dessous)

Les parents Wright se dirent que les filles avaient dû se servir de découpures. Le père d'Elsie fouilla le vallon à la recherche de bouts de papier ou de rognures de carton, mais il ne trouva rien. On ne trouva non plus aucun indice dans la chambre à coucher des fillettes. Toujours persuadés d'êtres mystifiés, mais troublés de voir les filles se cramponner à leur histoire, les parents décidèrent que le mieux était de laisser tomber. Les fillettes ne purent plus se servir de l'appareil photo et les deux épreuves furent rangées sur une étagère ou elles restèrent pendant trois ans.
En 1920, Mrs. Wright assista sur place à une conférence. Le conférencier en vint à parler des fées et Mrs. Wright lui parla des photographies. En suite de quoi, celles-ci furent transmises à Edward L. Gardner, membre influent d'une organisation s'intérressant à l'occultisme, la société théosophique, qui se préoccupait particulièrement de photographie des esprits. Au début, Gardner ne fut guère impressionné, mais il fit quand même vérifier les négatifs par Henry Snelling, un photographe de profession expert en matière de truquages photographiques.
Snelling déclara que les deux photos étaient authentiques. "Ces deux négatifs sont ceux de photographies non truquées, intégralement authentiques à simple impression. Travail d'extérieur montrant le mouvement dans toutes les figures de fées. Aucune trace de travail en studio impliquant l'utilisation de silhouettes en papier ou en carton, de fonds sombres, de figurines peintes, ect. A mon avis, ce sont deux photos honnêtes, non retouchées."
C'est alors que Sir Arthur Conan Doyle apporta son immense réputation dans l'affaire. Il était en train de préparer un article sur les fées pour le numéro de Noël du Strand Magazine et pensa pouvoir utiliser ces photos pour l'illustrer. Mais il lui fallait d'abord des preuves supplémentaires de leur authenticité. Les négatifs furent examinés par Kodak. Ses experts déclarèrent aussi ne pouvoir trouver aucun indice de truquage, tout en n'en écartant pas la possibilité.
Gardner se rendit alors à Cottingley et s'entendit avec Elsie et Frances, laquelle vivait désormais en Angleterre, pour qu'elles essaient de prendre d'autres photos. Il donna aux jeunes filles, âgées maintenant de 16 et 13 ans, un nouvel appareil pour chacune avec un jeu de plaques, qui avaient été marquées sans qu'elles le sachent. Assez curieusement, aucun témoin indépendant n'alla avec elles dans le vallon, peut-être parce que les fées risquaient de se montrer seulement à des gens bien disposés à leur égard et avaient besoin de plusieurs mois pour s'habituer à des étrangers.
Bien que le temps ait été exceptionnellement mauvais tout au long des deux semaines suivantes, les jeunes filles prirent trois autres photos. (ci-dessous) Sur chacune figuraient des fées minuscules. La société ayant fourni les plaques vérifia que c'étaient bien celles marquées par ses soins et après une analyse approfondie ne put détecter aucune fraude. Gardner fut convaincu. Il souligna que les Wright ne recherchaient pas la publicité, qu'ils avaient insisté pour que leurs véritables noms ne soient pas révélés dans l'article de Conan Doyle et qu'ils refusaient tout paiement pour les photos. Il fit remarquer aussi qu'un truquage aurait demandé énormèment de temps et exigé des connaissances techniques dépassant de beaucoup celles d'un photographe amateur.

Se reposant sur le rapport de Gardner, Conan Doyle fit paraître son récit sensationnel. Il le fit suivre d'un autre article en mars 1921 et d'un livre intitulé " La venue des fées " . Mais il ne se rendit jamais en personne à Cottingley et ne parla jamais aux deux jeunes filles. Par contre, le voyant Geoffrey Hodson ne s'en priva pas . Après plusieurs semaines, lui aussi fut convaincu de leur sincérité. Gardner et lui conclurent que les deux jeunes filles étaient des voyantes et que Frances était un médium exceptionnellement bon dont l'ectoplasme était utilisé par les fées pour se matérialiser sous des formes sensibles à l'appareil photo.

Voyant les photos aujourd'hui, un sceptique n'hésiterait pas à dire qu'elles sont truquées. Les fées sont de petites créatures stéréotypées répondant à l'image classique jusqu'aux bouts de leurs ailes de gaze et dont les coiffures sont même à la mode de 1920. Sur la première et la plus célèbre des photos, Frances regarde droit devant elle sans se soucier apparemment des petits personnages folâtrant sous ses yeux. Dans la deuxième, la main d'Elsie ne semble pas normale - elle est d'une taille inhabituelle et paraît disloquée au poignet. Bien que les jeunes filles aient continué à voir les fées et prétendu que le vallon fourmillait de toutes sortes de fées, elles ne prirent jamais plus de photos.

Dans cette affaire, les adultes se sont-ils autosuggestionnés ? Les critiques font remarquer que Gardner était intervenu en tant que chercheur dans le domaine du paranormal, Hodson croyait fermement aux fées, Mrs. Wright était théosophe et, avec toute sa réputation de logicien, Conan Doyle était devenu un adepte du spiritisme, attiré vers cette croyance par suite du désespoir qu'il ressentit de la mort d'un fils tendrement aimé. Peut-être étaient-ils tous un peu trop portés à croire aux fées de Cottingley ?
Gardner s'en défendit avec chaleur, appelant l'attention sur un témoignage qui surgit tout à fait à l'improviste un an après l'article de Conan Doyle. Un amie de Frances Griffith, en Afrique du Sud, exhiba une copie de la première photo de fées que Frances lui avait envoyée dans une lettre de 1917. Non seulement cela s'était passé plusieurs années avant que Conan Doyle rende l'affaire publique, mais aussi Frances traitait la question des fées en une seule phrase désinvolte noyée dans un bavardage sur ses poupées, ses parents et une autre photo d'elle-même. Ce qui venait à l'appui de l'affirmation de Gardner que, pour Frances Griffith, il n'y avait rien d'extraordinaire à voir des fées et que, comme Elsie Wrigth le lui avait dit, Frances fixait l'appareil parce qu'elles s'intéressait davantage à la photo que l'on prenait d'elle qu'à des fées qu'elle pouvait voir tous les jours.
Gardner expliquait aussi la bizarre apparence de la main d'Elsie en disant qu'elle avait des mains et des doigts exceptionnellement longs. En ce qui concerne l'aspect trop conventionnel des fées, Geoffrey Hodson (ci-dessous)soutenait que les fées choisissent souvent de se matérialiser sous les formes sous lesquelles paysans ou enfants ont coutume de les imaginer ou en donnat d'elles une image qu'ils admirent particulièrement. " La surprise, disait-il, serait qu'elles soient différentes."

Selon Conan Doyle et Gardner, les jeunes filles ne cherchèrent pas à prendre d'autres photos après 1920 parce qu'elles avaient perdu leur simplicité et leur innocence enfantines. De plus, si elles continuaient à être de bonnes voyantes, quoique limitées, l'ectoplasme de Frances ne convenait plus au fées, aussi ne pouvaient-elles s'en servir pour prendre une forme susceptible d'être photographiée. " La puberté est souvent fatale au pouvoir psychique" , a écrit Conan Doyle. Ces photos ont été le résultat d'une combinaison exceptionnelle de circonstances et d'individus, a dit Gardner. Depuis lors, peu de tentatives pour photographier des fées ont abouti ; aucune n'a donné quelque chose de comparable aux résultats obtenus par Frances et Elsie.
Cottingley s'enorgueillit aujourd'hui d'un chemin portant le nom de " la combe aux fées ", souvenir d'un événement du XXé siècle et d'un phénomène apparemment inexplicable. Car, en dépit de l'accablante publicité à laquelle les Wright ne purent échapper malgré tout, personne n'a jamais démontré de façon convaincante que les photos des fées étaient truquées. Si elles l'étaient, alors la famille Wright - ou quelqu'un d'autre - possédait apparemment, en matière de photographie, un génie qui mystifia tous les spécialistes.
Et si les photos étaient authentiques ? Se pourrait-il, après tout, que les fées existassent ?
