La malediction du Bouddha souriant

Cela se passait en 1928 à Kobe, au Japon. Un couple anglais d'âge mûr, les Lambert, contemplait la devanture d'un brocateur. "Voila ce que je voudrais", dit Marie Lambert en montrant une statuette : c'était un homme à demi nu assis sur un coussin. Elle avait reconnu l'image souriante de Ho-tei, le dieu japonais de la bonne fortune. "Demandons combien elle coûte", répondit son mari. Ils furent agréablement étonnés de son bas prix, bien qu'elle fût en ivoire. Cela semblait presque trop beau pour être vrai. De retour à bord de leur paquebot, les Lambert examinèrent de près leur acquisition. La statuette avait la teinte jaunie du vieil ivoire et était joliment sculptée. Autant qu'ils puissent voir, sa seule légère inperfection était un petit trou situé sous la base de la statuette, bouché par une cheville d'ivoire. Mais il pouvait se faire que ce trou fût le passage naturel du nerf de la défense d'éléphant avec laquelle avait été fait l'objet. Tout compte fait, les Lambert paraissaient avoir réalisé une de ces bonnes affaires dont rêvent les touristes. Ils espéraient que la présence du "Bouddha souriant" ainsi que l'on nomme parfois Ho-tei, leur apporterait la chance pendant le reste du voyage.
Ho-tei était à l'origine un moine bouddhiste du VIé siècle qui passa son existence à venir en aide aux pauvres, spécialement aux enfants. Les statues de Ho-tei, qui devint par la suite un dieu, le montrent tenant dans la main droite un collier de perles ou un éventail, et dans sa main gauche un sac. Il a parfois un petit enfant sur le dos ou sur l'épaule, car une légende disait qu'il porta jadis un enfant pour lui faire traverser une rivière en crue. On croit que la légende de Saint Christophe, dont l'image est reproduite sur tant de porte-bonheur de voyageurs occidentaux, est une version christianisée de l'histoire de Ho-tei.
Marie Lambert rangea la statuettes dans une des ses valises. Le lendemain, en route pour Manille qui était l'escale suivante, elle commença à souffrir d'un mal de dent. Le médecin du bord lui donna un analgésique, qui ne la soulagea pas. Arrivés à Manille, les époux Lambert furent atteints d'un fièvre qui les faisait souffrir dans toutes les articulations, ce qui retarda la visite de Mrs.Lambert à un dentiste. Pendant le traitement, la fraise glissa et attaqua le nerf de la dent, ce qui augmenta la douleur au lieu de la calmer.

Pendant la partie suivante du voyage, qui amena le navire en Australie, Mr.Lambert fut atteint à son tour d'un affreux mal de dent. Il alla voir le dentiste à Cairns, celui-ci ne trouva rien d'anormal. En fait, la douleur avait cessé pendant qu'il était chez le praticien; elle reprit dès qu'il fut revenu dans sa cabine. Deux jours plus tard, il consulta un autre dentiste, et le même phénomène se produisit. En désespoir de cause, il demanda à un dentiste de Brisbane de lui arracher les dents une à une jusqu'à ce que la douleur disparaisse. Elle disparut dès l'enlèvement d'une première dent, mais reprit quand Lambert revint à bord. Il n'avait pas remarqué que la statuette de Ho-tei était toujours à proximité quand il commençait à souffrir des dents.
A sydney, les bagages furent sortis pour inspection, et les maux de dent cessèrent. Entre Sydney et la Nouvelle-Zélande, les bagages étaient à nouveau dans la cabine; les douleurs des Lambert reprirent. Quand les valises furent descendues dans la cale, elles cessèrent. Lorsqu'ils furent à terre en Nouvelle-Zélande, ils n'eurent pas mal; mais en route vers le Chili, Mr.Lambert eut une seule rage de dent : lorsque les valises furent remontées dans la cabine pour être refaites.
Aux Etats-Unis, la mère de Mr.Lambert trouva Ho-tei si charmant que le couple lui fit cadeau de la petite divinité. Mais quand ses excellentes dents commencèrent à la faire souffrir, cette dame leur rendit le cadeau, en disant que c'était un "mauvais remède" . Malgré cette allusion aux tristes effets de la statuette sur ses propriétaires, les Lambert ne firent pas le rapprochement entre Ho-tei et leurs maux de dent avant la traversée de l'Atlantique pour le retour en Angleterre. Là, une compagne de voyage qui s'intéressait aux ivoires leur emprunta l'objet pour une nuit afin de le montrer à son mari. Le lendemain matin, ces deux personnes dirent aux Lambert qu'elles avaient eu mal aux dents; ces derniers se rendirent alors compte que leurs ennuis s'étaient produits chaque fois que Ho-tei se trouvait dans leur cabine. Mrs.Lambert voulut le jeter tout de suite par-dessus bord, mais son mari craignit que le dieu ne se venge en pourrissant toutes les dents de leurs mâchoires. Ils ramenèrent donc la statuette à Londres avec eux.
Mr.Lambert l'apporta à un Japonais, directeur d'un magasin d'art oriental, qui offrit aussitôt de la lui acheter. Mr.Lambert lui expliqua qu'il ne cherchait pas à obtenir de l'argent, et lui décrivit les maux qu'elle semblait leur avoir causés. Le directeur fit venir un vieil emplyé japonais, avec lequel il examina attentivement la statuette. Voici ce que Mr.Lambert comprit de leur réponse : Ho-tei avait été dans un temple; et parfois on donne ne Orient une "âme" aux statues de telles divinités de temple, en y introduisant de petites médailles; ce qui pouvait expliquer la cheville d'ivoire enfoncée à la bas de la statuette. Le vieux Japonais plaça Ho-tei sur un autel au fond de la boutique et brûla devant lui des bâtonnets d'encens. Puis, avec une expression de crainte, il fit de profondes courbettes à Mr.Lambert quand celui-ci sortit de sa boutique.

Colin Wilson, qui raconte cette histoire dans "Enigmes et Mystères", ajoute que Mr.Lambert a tiré profit de sa pénible aventure en écrivant un livre qui s'est fort bien vendu, et qu'il n'a jamais pu se résoudre à retourner voir la boutique ou il avait abandonné Ho-tei.
Mr.Lambert supposait que cette divinité s'était vengée des incroyants qui l'avaient enlevée de son temple. Mais est-il possible de donner à une substance inerte le pouvoir de faire le mal ? Pour les sceptiques, la malchance en série est causée par ses propres victimes, qui attirent inconsciemment sur elles les catastrophes. Nous connaissons tous des personnes qui semblent attirer le mauvais sort - nous les disons "prédisposées aux accidents". Bien que leur infortune paraisse imméritée, nous avons l'impression qu'il existe une corrélation entre leur malchance et leur personnalité, qu'il peut y avoir dans leur comportement quelque chose - une certaine attente de voir arriver le pire - qui déclenche l'accident.
L'attidute subconsciente du sujet pourrait en être la cause; elle affecterait l'attention que ce dernier porte aux choses quotidiennes, ce qui lui occasionnerait des mésaventures plus fréquentes qu'à d'autres. Même avec nos connaissances limitées des pouvoirs de l'esprit, nous ne pouvons écerter cette possibilité. Cependant, beaucoup de gens - dans les pays civilisés comme chez les peuples primitifs - n'hésitent pas à qualifier de "maudit" celui qui est nettement prédisposé aux accidents.