Quand l'homme se change en bête

Cas N° 1
Nous sommes en 1598. En un coin écarté d'une forêt dans l'ouest de la France, un archer et un groupe d'hommes d'armes tombent sur les corps dénudé d'un garçon. Le cadavre est affreusement mutilé et déchiré. Les membres, encore chauds et palpitants, sont inondés de sang. Lorsqu'ils se rapprochent du corps, les Français aperçoivent ce qui leur semble être deux loups se sauvant entre les arbres. Les hommes les prennent en chasse, et, à leur grande stupeur, ils découvrent que ce qu'il ont pris n'est pas un loup, mais se révèle être un homme, grand, maigre, vêtu de haillons, avec des cheveux et barbe broussailleux, emplis de vermine. Horrifiés, ils constatent que ses mains sont encore tachées de sang frais et que des lambeaux de chair humaine sont collés à ses ongles semblables à des griffes. L'homme, comme on le constatera, est un mendiant vagabond nommé Jacques Roulet ; il va passer en jugement à Angers, en août 1598. Et si la population d'Angers a éprouvé un choc en découvrant Roulet, les débats du procès vont la bouleverser.
Roulet avoue au tribunal : "J'était un loup.
- Vos pieds et vos mains deviennent-ils des pattes ?
- Oui
- Votre tête devient-elle comme celle d'un loup ?
- Je n'en sais rien ; je me servais de mes dents. "
Pour rendre son verdict, la cour doit décider si Roulet est un loup-garou, comme il le soutient, ou un Lycanthrope, ce qui est voisin mais différent. Un Loup-garou est une personne vivante qui a le pouvoir de se changer en loup. Un Lycanthrope (du grec lukos, loup, et anthropos, homme) est quelqu'un qui souffre d'une maladie mentale lui faisant croire qu'il est transformé en loup. Dans un cas comme dans l'autre, Roulet risquait d'être exécuté. Considérant que Roulet était un malade mental - et par conséquent un lycanthrope - , il le condamna seulement à deux ans d'internement dans un asile d'aliénés.

Cas N° 2
Autre cas fameux, celui relevé dans le centre de la France, en Auvergne, en 1558. Un chasseur parcourant une forêt rencontra un seigneur du voisinage qui lui demanda de lui rapporter quelque gibier si la chasse avait été bonne. Le chasseur fut attaqué plus tard par un loup féroce, mais il réussit à le faire fuir après lui avoir arraché une patte. Il mit celle-ci en souvenir dans son carnier et rentra chez lui. En cours de route, il s'arrêta au château du seigneur et lui raconta son aventure. Ouvrant son carnier pour y prendre la patte du loup, il fut ébahi de trouver à la place une délicate main de femme. Le seigneur fut encore plus étonné car il reconnaissait l'anneau d'or sur l'un des doigts. Se ruant à l'étage au-dessus, il trouva sa femme en train de panser le moignon sanglant de son poignet. Elle avoua être un Loup-garou et fût brûlée sur le bûcher.

Cas N° 3
L'un des plus fameux loups-garous de l'Histoire était un ermite tout courbé, aux sourcils broussailleux, nommé Gilles Garnier. Le 13 septembre 1573, les autorités de la ville de Dôle autorisèrent une chasse au Loup-garou après que plusieurs enfants de la localité eurent été trouvés tués et en partie dévorés. L'autorisation disait :
"Et puisqu'il a attaqué et blessé dans la région des cavaliers qui ont eu le plus grand mal à le faire fuir, non sans courir de grands risques pour leurs personnes, ledit tribunal, désirant prévenir de plus grands dangers, autorise ceux qui résident dans les lieux en question, nonobstant tous édits concernant la chasse, à se rassembler avec des piques, des hallebardes et des bâtons pour chasser et poursuivre ledit Loup-garou en tout lieux ou ils pourront le trouver ou le capturer, et de le ligoter et le tuer sans encourir de peines ou d'amendes."
Il est clair que les paysans étaient convaincus, avant même d'avoir entamé la chasse, que le coupable était un Loup-garou. Il est extraordinaire que dans tout ces récits il ne soit jamais envisagé que les victimes aient pu avoir affaire à un véritable loup.
Deux mois plus tard, un groupe de villageois entendirent les cris d'un enfant et le hurlement d'un loup. Se précipitant sur place - s'attendant à trouver un Loup-garou - ils découvrirent une petite fille sévèrement mise à mal et crurent reconnaître Garnier dans le loup qui s'enfuyait. Quand un garçonnet de 10 ans disparut six jours plus tard, ils assaillirent la cabane de "l'ermite de Saint-Bonnet", comme on appelait Garnier, et ils l'arrêtèrent ainsi que sa femme.
Garnier fit immédiatement deux aveux. L'un concernait un garçon de 12 ans tué dans un verger au mois d'août précèdent. Garnier était sur le point de dévorer l'enfant, quand il avait été interrompu par des hommes. Ceux-ci témoignèrent que Garnier avait alors la forme d'un homme et non d'un loup. Le 6 octobre, dans un vignoble près de Dôle, Garnier avait attaqué une fillette de 10 ans, cette fois déguisé en loup. Il la tua avec ses dents et ses griffes, la déshabilla et la dévora, si heureux de ce repas qu'il rapporta de sa chair à sa femme pour son souper. Ayant avoué, Ganier fut brûlé vif le 18 janvier 1574.

Cas N° 4
Trente ans plus tard, un presque homonyme de Garnier, Jean Grenier, élégant jeune berger de 14 ans, confessa une serie de crimes dans la région de Bordeaux, dans le sud-ouest de la France. A en croire ses aveux, il aurait dévoré plus de 50 enfants. Parfois, dit-il, il attendait dans les bois jusqu'à ce que le soir tombe et qu'il se soit transformé en loup. Puis, il surveillait ses victimes depuis un fourré situé à côté d'un étang très fréquenté. Une fois, il surprit deux filles se baignant nues ; l'une se sauva, mais il dévora l'autre. Quand il était poussé par une faim extrème, dit-il, il se jetait audacieusement au milieu des gens jusqu'à ce qu'il soit chassé.
Grenier passa ses aveux avec un empressement suspect, énumérant ses crimes avec une telle inconscience qu'il provoqua même des rires dans un tribunal plein à craquer lorsqu'il raconta avoir poursuivi une vieille femme et eut la déception de trouver sa chair "dure comme du cuir" . Il se plaignit aussi d'un enfant en ces termes : " Quand je le soulevai de son berceau et me préparai à y mordre pour la première fois, il brailla si fort que ça m'a presque rendu sourd." Il y avait eu des meurtres dans la région et trois fillettes témoignèrent contre lui, aussi sa confession détaillée fut-elle prise en considèration. Mais Grenier accusa d'autres individus d'être aussi des Loups-garous et le juge trouva ses accusations si horribles qu'il le renvoya devant une juridiction plus haute pour que ce cas étrange soit examiné plus à fond.
Les maisons des gens cités par Grenier furent fouillées et bien que l'on n'ait rien trouvé, son père et un voisin furent arrêtés. Grenier père fit impression sur le juge d'instance supérieure en déclarant que son fils était bien connu pour être un idiot, qui se vantait d'avoir couché avec toutes les femmes du village. Néanmoins, Grenier maintint ses aveux avec un telle conviction que son père et le voisin firent l'objet d'un supplément d'enquête. Sous la torture, ils reconnurent avoir rechercher des fillettes "pour s'amuser avec elles, mais pas pour les manger".
Grenier fut condamné au bûcher, mais l'affaire avait fait un tel bruit qu'elle finit par être soumise à la cour d'appel de Bordeaux. Le juge de Lancre a noté cette déposition du jeune homme : " Quand j'avais 10 ou 11 ans, mon voisin Thillaire me présenta, dans les profondeurs de la forêt au "Maître de la forêt", qui me marqua avec son ongle et me donna ainsi qu'à Thillaire un onguent et une peau de loup. Depuis lors, j'ai parcouru le pays sous la forme d'un loup." Grenier soutint qu'il allait chasser les enfants sur l'ordre de ce maître de la forêt, changeant de forme à l'aide de l'onguent et de la peau de loup après avoir caché ses vêtements dans les fourrés.
Comme le mendiant Roulet avant lui, ses aveux spontanés de loup-garou lui valurent d'être traité avec une rare compréhension. Le tribunal fit comparaître deux médecins qui décrétèrent que le garçon souffrait de "la maladie appelée lycanthropie, qui trouble la vue des hommes et leur fait imaginer des choses de ce genre", en ajoutant toutefois que cette affection était le résultat de la possession par un esprit mauvais. Le juge de Lancre fit de l'affaire un résumé intelligent qui pourrait s'appliquer à nombre de cas analogues de prétendus loups-garous à la même époque : " Le tribunal tient compte du jeune âge et de la stupidité de ce garçon, dont la bêtise est celle d'un enfant de 10 ans...Voici un gamin abandonné et chassé par son père, qui a une marâtre d'une grande méchanceté au lieu d'une véritable mère, qui erre dans les champs sans que personne le conseille ou s'intéresse à lui, mendiant son pain, n'ayant jamais eu de formation religieuse, dont la nature réelle a été corrompue par des impulsions mauvaises, le besoin et le desespoir, et dont le Diable a fait sa proie."
La vie du garçon fut épargnée et il fut envoyé dans un monastère ou le juge se rendit plusieurs années après. IL y découvrit que l'esprit de Grenier était complétement vide, incapable de saisir les choses les plus simples et pourtant le jeune homme continuait à soutenir qu'il était un Loup-garou et qu'il mangerait davantage d'enfants s'il le pouvait. Il voulait aussi " ressembler à un loup". Grenier mourut en "bon chrétien" en 1610, mais il n'est guère surprenant que quiconque dans la région portant le nom de Garnier ou de Grenier eût été pendant une longue période considéré avec suspicion.