Le Baychimo
Le vapeur Baychimo, lui aussi, naviguait seul dans l'Arctique. Appartenant à la compagnie de la baie d'Hudson, ce cargo de bonne apparence, muni d'une cuirasse, était considéré comme le meilleur bâtiment destiné à affronter la banquise. Il fut intégré dans la flotte nordique en 1921 et fit neuf campagnes annuelles sur les côtes arctiques du Canada, achetant des fourrures aux comptoirs situés le long de la mer de Beaufort et du canal McClintock. Aucun autre navire n'avait réussi à effectuer ce périlleux voyage plus de deux années de suite.

Le 6 juillet 1931, le Baychimo apparailla de Vancouver au Canada, avec un équipage de 36 marins commandés par le capitaine Cornwall. Il franchit le détroit de Béring et pénétra dans le passage du Nord-Ouest. Le commandant acheta pour des centaines de milliers de dollars de fourrures sur les côtes de l'île Victoria. Pendant son voyage de retour, le navire fut pris dans une embâcle précose au cours d'une tempête de neige et fut immobilisé. Le Baychimo courant le risque d'être écrasé, Cornwall et son équipage établirent un camp sur la glace, plus près de la côte, et se préparèrent à hiverner. Au début de novembre, une tempête qui dura trois jours amena un réchauffement, ce qui permit aux hommes de sortir un peu ; ils contatèrent alors que le Baychimo avait disparu.
Cornwall conduisit ses hommes à Point Barrow, distant de 50 milles, ou il apprit que des Esquimaux avaient repéré son bateau à 45 milles au sud-ouest de son ancienne position. L'équipage et un groupe d'Esquimaux réussirent à l'atteindre et, au prix de deux semaines d'efforts, à débarquer le plus gros de sa précieuse cargaison. Mais avant qu'ils aient terminé, le Baychimo disparut à nouveau. Au printemps suivant, il fut aperçu à 300 milles plus à l'est, près de l'île Herschel. Un jeune trappeur et explorateur, Leslie Melvin, trouva le Baychimo au cours d'un voyage en traîneau à chiens.

Il monta à bord et constata qu'il était en excellent état. Depuis lors, le navire a été aperçu plusieurs fois. Un groupe d'Esquimaux l'accosta en 1933, mais fut pris dans une tempête soudaine et dériva pendant dix jours avec lui avant de pouvoir retourner à la côte sur un radeau de glace. En juin 1934, Hutchinson, botaniste écossais, le vit et monta à bord. D'année en année, des chasseurs de baleine, des prospecteurs, des Esquimaux, des voyageurs l'ont aperçu. En novembre 1939, le mauvais temps fit échouer une tentative de le remorquer vers un port. Après une période ou l'on n'eut plus de nouvelles, des Esquimaux le revirent en mars 1956, dérivant vers le nord dans la mer de Beaufort. En mars 1962, des pêcheurs l'ont rencontré dans la même région ; il paraissait toujours en état de naviguer. Depuis lors, on ne la plus revu, mais il se pourrait qu'il réapparaisse un jour. Il n'existe pas d'autre exemple, dans les temps modernes, d'un navire parcourant les mers aussi longtemps sans équipage. Pendant plus de trente ans, le Baychimo a survécu aux glaces dans une des mers les plus dures du monde.